Tribune publiée dans La Vie le 9 janvier 2019
La fracture sociogéographique qui s’est progressivement creusée en France est en train de disloquer notre pays. Aujourd’hui, la « France périphérique » présente un potentiel insurrectionnel parce qu’elle n’en peut plus. Ce peuple de France veut vivre dignement du fruit de son travail et il le fait savoir ; il veut vivre uni dans une communauté de destin, non comme une catégorie reléguée économiquement et culturellement, exclue du récit global du « nouveau monde » financiarisé, où l’idole-argent absorbe le politique.
Cette France périphérique marginalisée par la mondialisation concerne 60 % de la population, selon la classification du géographe Christophe Guilluy et davantage selon d’autres. Elle n’en peut plus de devenir un désert sans bureau de poste, sans maternité, sans médecin, sans usine, sans ferme et sans train ; elle n’en peut plus de payer toujours plus de taxes alors même que les services publics sont démantelés ; elle refuse la marche forcée vers la mondialisation
économique ultralibérale et la globalisation culturelle sur lesquelles elle n’a aucune prise et qui se décident sans elle.
Il y a le feu. Notre maison commune France brûle. Cette atmosphère possiblement insurrectionnelle est inquiétante. Pour le gouvernement, l’équation semble insoluble : on ne peut emmener à marche forcée un peuple vers un « nouveau monde » qui le rejette. Devant un tel contexte, la situation pourrait devenir hors de contrôle. Or, dans la révolution, c’est toujours le plus fort qui impose sa loi, pas le plus juste.
Comment instaurer un dialogue social quand il n’y a plus de langage commun entre la sphère financière des mégalopoles et la France des périphéries, entre “les individus de n’importe où“, initiés et mobiles, et “le peuple de quelque part” ? Sur quelle réalité institutionnelle peut s’appuyer un tel dialogue quand les corps intermédiaires ont été sapés et que la représentation politique est décrédibilisée ? Comment trouver un chemin commun quand s’opposent “culture urbaine” mondialisée et culture populaire ?
Tels sont les contours de la question sociale contemporaine. Cette nouvelle question sociale est, sous certains aspects, plus grave encore que celle du 19e siècle, qui recouvrait principalement la condition ouvrière. Un ensemble de lois avaient alors pu la résoudre, au moins en partie. Aujourd’hui, la question sociale dépasse largement les conditions particulières d’une classe sociale, elle atteint la nature même du lien collectif, dans toutes ses dimensions : familiale, culturelle, économique, écologique, géographique ; dimensions que nie l’idéologie de l’économie financiarisée. C’est la cohésion d’un peuple et d’une nation qui est en cause.
Cette nouvelle question sociale dépasse les frontières, comme le montre l’extension du symbole des gilets jaunes au-delà de la France. Dans de nombreux pays, en Europe et dans le monde, la valeur travail, la dignité des travailleurs, leur droit à un juste salaire et à un environnement sain, sont quotidiennement bafoués. Cela concerne les structures économiques mais aussi la responsabilité de chacun, alors que la culture du « toujours moins cher » fait oublier que derrière chaque produit et chaque service, il y a des travailleurs et leur famille.
Dans le passé, des catholiques sociaux se sont levés pour défendre la classe ouvrière. Aujourd’hui, les catholiques doivent se lever pour soutenir le peuple de France et lutter pour un système économique mondial et une Europe au service du développement humain intégral. Nous devons avoir conscience que les fractures françaises ne seront pas résolues seulement par des lois mais par l’engagement de chacun.
Les catholiques doivent se mobiliser pour édifier des communautés solidaires, fondées sur un lien de responsabilité commune, qui puissent redonner à notre pays une perspective, un destin partagé, du travail, un lien par la culture populaire, une histoire continuée, un nouveau souffle familial, éducatif, écologique, spirituel et de vraies solidarités.
Nous sommes membres d’un peuple. La dignité de chacun est de participer à une grande œuvre commune et au bien de notre pays. Le devoir des catholiques, en ce temps crucial de l’histoire, n’est pas de défendre les intérêts d’une communauté, mais de penser et mettre en œuvre un nouveau catholicisme social au service de l’universel et de notre pays.
Signataires : Joseph Thouvenel, syndicaliste chrétien ; Mathieu Detchessahar, docteur en gestion, professeur des Universités ; Guillaume de Prémare, délégué général d’Ichtus ; Patrice de Plunkett, essayiste ; Patrice Obert, Président des Poissons Roses ; Denis Moreau, philosophe, Professeur des Universités ; Emmanuel Gabellieri, philosophe, Professeur à l’UCLY ; Gaultier Bès, directeur-adjoint de la Revue Limite ; Pierre-Yves Gomez ; Tugdual Derville, délégué général d’Alliance VITA ; Henri Hude, philosophe ; Bernard Bourdin, professeur des universités en philosophie politique ; Antoine Renard, président des Associations familiales catholiques en Europe ; Ghislain Lafont, Président de l’Académie d’éducation et d’études sociales ;Gérard Leclerc, journaliste ; Joël Hautebert, professeur des universités ; Diane de Bourguesdon, consultante en stratégie ; Marie-Joëlle Guillaume, écrivain ; Jean-Marie Andrès, président des Associations familiales catholiques
Contact : nouveau[dot]catholicisme[dot]social[at]gmail[dot]com